On a tous eu, un jour ou l’autre, envie de claquer la porte de son bureau pour ne jamais y revenir. Pour certains, cette envie est même récurrente. Il y a aussi les retours de vacances difficiles : personnellement, à chaque fin de vacances, j’ai oublié pourquoi il faut repartir. C’est vrai, après tout, je suis bien là, et oui, je me vois parfaitement me reconvertir en organisatrice de concours de boules en bergère, je suis certaine d’avoir trouvé ma vocation. Ça faisait longtemps que je voulais retourner aux sources et oui, je suis consciente que traire les chèvres c’est pas des vacances et qu’il faut se lever à cinq heures, mais ici j’en serais parfaitement capable, pas comme à la ville avec ce réveil qui-ne-sonne-jamais-c’est-pas-de-ma-faute, ici je n’aurais même pas besoin de réveil, car les mouvements du soleil sur la montagne règleraient mon horloge interne, promis juré.
Evidemment, comme on manque un peu de courage pour mettre en pratique toutes ces belles aspirations à une vie meilleure et plus proche des vraies valeurs, on finit par reprendre l’avion, le train, le bateau. Et par retourner dans ce maudit bureau. Et à nouveau on se répète tous les jours « promis, demain je commence à chercher autre chose. »
Si l’on fantasme parfois sur une démission fracassante, la plupart du temps il s’agit de simples passages à vide ou de découragement. Mais dans certains cas, il y a véritablement urgence à changer de travail. Alors comment distinguer le simple fantasme d’une réelle envie profonde ? Voici les raisons bien réelles et légitimes de partir au plus vite :
L’ennui ?
Vous regardez l’heure avec impatience tout l’après-midi, le vendredi soir est le meilleur moment de la semaine ; au travail, vous avez l’impression que vous effectuez toujours les mêmes choses et que vous stagnez. L’ennui peut survenir au bout de plusieurs années dans le même poste : au début, on découvre de nouveaux challenges et lorsqu’on atteint le sentiment de tout maîtriser, on s’ennuie ferme. Nous ne sommes pas égaux face à l’ennui : certaines personnes ont un besoin régulier de changement et de défi pour se sentir exister, d’autres au contraire puisent un sentiment de satisfaction et de sécurité dans le fait de maitriser parfaitement les tâches qui leur sont imparties. Il faut donc bien se connaître soi-même avant de faire le grand saut. Pour que le changement soit bénéfique, il faut non seulement être certain de s’ennuyer ferme dans son activité actuelle et de n’avoir aucune possibilité d’évoluer, mais aussi avoir une idée bien précise de ce que l’on aimerait faire à la place. Toute reconversion doit être soigneusement pensée et planifiée. Une décision hâtive peut se payer très cher.
Les personnes ?
Il y a votre collègue Simone, une sournoise que vous ne supportez plus ; vous êtes parfois à deux doigts de claquer la porte quand elle fait pour la énième fois quelque chose qui vous agace. Il y a aussi le neveu du big boss qui ne glande rien et récupère tous les dossiers intéressants. Mais heureusement, il y a votre collègue Julie avec qui vous partagez la pause déjeuner et riez ensemble. On ne peut pas s’entendre avec tout le monde, les conflits sur le lieu de travail peuvent être très douloureux et délicats à gérer ; mais si le problème vient d’une seule personne ou d’un nombre très restreint, vous auriez bien plus intérêt à régler ça en interne qu’à démissionner sur un coup de tête, sinon cette personne aura gagné. Etes-vous sûre que Simone la vipère compte rester 15 ans de plus dans la boîte ? Etes-vous certain que sa présence rend l’ensemble de votre travail insupportable quotidiennement et depuis longtemps ? Le favoritisme du big boss envers son chouchou vous atteint-il personnellement au point d’en faire une obsession ou pouvez-vous essayer de le prendre avec humour et d’en rire avec vos collègues ? En parler aux RH ou avoir une franche mais calme explication avec la personne qui vous rend la vie difficile peut parfois dénouer les choses, ainsi que l’établissement entre elle et vous de règles de cohabitation claires et de compromis mutuels si vous devez partager un bureau. Il y aura toujours des gens avec qui on ne s’entend pas, des cas de favoritisme, des rumeurs sur les uns et les autres ; êtes-vous vraiment prêt à tout recommencer ailleurs juste à cause d’une ou deux personnes qui vous indisposent?
En revanche, si vous vous sentez harcelée par un groupe et isolée sans personne à qui parler, si vous venez au travail avec la peur au ventre parce que votre chef est un colérique qui hurle, claque des portes et tape du poing sur la table, voire insulte ses employés, partez au plus vite, sans même vous retourner. Réflexions sexistes ou racistes au quotidien, gestes obscènes, manque de respect, feindre ouvertement d’ignorer votre présence, vous critiquer et vous rabaisser en permanence… Le harcèlement peut prendre de multiples formes. Ne laissez pas la violence, le mépris ou les insultes devenir votre quotidien, ou vous pourriez bien en payer les conséquences sur le long terme : problèmes de santé, dépression, burn-out… En résumé : des inimitiés et des prises de bec avec certains collègues, il y en aura toujours, de manière inégale selon les périodes. Mais une véritable atmosphère de violence, de peur ou de harcèlement au quotidien doit vous inciter à prendre les décisions qui s’imposent.
La charge de travail ?
Vous avez l’impression d’en faire beaucoup trop ou pas assez : dans les deux cas, cela peut être insupportable. Si vous avez l’impression de crouler sous le travail, commencez par en parler. N’ayez pas honte de reconnaitre que vous vous sentez débordé et de demander de l’aide à vos collègues. Parfois il peut s’agir d’un problème d’organisation : voyez si vous pouvez éliminer des tâches superflues, ou mieux répartir la charge de travail sur la semaine, si certains jours sont pires que d’autres. Si vous avez l’impression d’être le seul à trimer, parlez-en à vos collègues et voyez si certaines de vos tâches peuvent leur être confiées. Peut-être est-il aussi possible de recruter, au moins des stagiaires pendant l’été. Si tout le monde est débordé, qu’aucune solution proposée n’est acceptée et qu’aucune possibilité d’amélioration n’est en vue, alors partez, car vous risquez d’y laisser votre santé. Si vous souffrez de fatigue chronique et d’anxiété devant la tâche à accomplir, que vous ne dormez pas assez ou que vous avez l’impression de passer votre vie au travail, il y a urgence à partir et trouver un travail qui vous laisse le temps de vivre. Peut-être que vous devrez alors revoir votre niveau de rémunération. Mais est-il bien utile de se tuer à la tâche pour amasser de l’argent qu’on n’a pas le temps de dépenser ?
Ne pas avoir assez de travail peut également être une bonne raison d’en changer, mais seulement dans certains cas. Si vous avez la sensation de ne rien faire, cela peut être parce que vous maitrisez maintenant votre métier et que ce qui vous prenait une journée ne vous demande plus que deux heures. Si vous n’apprenez plus rien de nouveau dans votre travail, il est peut-être temps pour un changement. Mais avant de claquer la porte, parlez à votre hiérarchie de votre désir de progression : prospectez, voyez si vous pouvez changer de poste ou suivre une formation qui vous permettra d´évoluer ; faites comprendre que vous êtes disponible. Une augmentation sera peut-être à la clé. Il y a souvent des solutions. Pensez aussi que vous pouvez mettre à profit les bénéfices de cette charge de travail réduite (absence de stress et de fatigue, surplus d’énergie) pour vous consacrer à des activités qui pourront vous donner l’impression de bien remplir votre semaine. L’avantage de ne pas trop en faire au travail, c’est qu’on a l’énergie disponible pour prendre des cours par correspondance ou passer sa ceinture noire de karaté. Et qui sait, vos hobbies, si vous avez du temps pour les investir, pourraient bien vous mener sur la voie d’une reconversion dans un métier plus épanouissant.
En revanche, si vous savez que vous n’avez aucune possibilité d’évolution dans votre entreprise, que vous passez votre journée sur internet uniquement pour remplir un quota d’heures de présence et que cela vous déprime depuis longtemps, il y a un vrai problème. En effet, n’avoir rien ou pas grand-chose à faire peut, à la longue, être aussi lourd de conséquences que le contraire : sensation d’être inutile, perte d’estime de soi, stress, dépression et même, oui, fatigue chronique. Les malheureux mis au placard en savent quelque chose. Parfois, quand on est mis au placard, il est presque plus conseillé de partir que de se battre, parce que l’urgence est de sortir de cette situation pour retrouver l’estime de soi.
Si votre inactivité vous pèse au point de finir par vous sentir incapable et inutile (ce qui est faux, car ce n’est pas vous qui êtes en cause), alors il est grand temps d’envisager une porte de sortie. N’attendez pas d’être si déprimé que vous n’oseriez même plus entreprendre les changements nécessaires.
Le salaire ?
Voilà une raison moins répandue de nos jours, crise oblige. En effet, rares sont les opportunités de décrocher le jackpot et par les temps qui courent beaucoup de gens se forcent à rester dans des boulots médiocres par peur de prendre des risques. Rares sont ceux qui partent en étant persuadés qu’ils peuvent se faire payer mieux ailleurs. Or même par temps de crise, il n’est pas bon de se sous-estimer et de se vendre pour bien moins que ce que l’on vaut réellement. Avant de décider de changer, il faut cerner les raisons pour lesquelles vous n’êtes pas mieux payé là où vous êtes : si c’est un problème général de budget dans la boîte, et que malgré tous vos efforts d’évolution, il y a peu de chances que cela change, alors mieux vaudrait chercher mieux ailleurs. Si le problème vient de votre poste en particulier, peut être avez-vous les compétences nécessaires pour en changer et postuler à un poste mieux rémunéré.
Il faut aussi énoncer clairement pourquoi votre salaire ne vous convient plus : cherchez sur internet les grilles de salaires correspondant à votre niveau d’études, à votre profession, dans votre secteur, et comparez. N’hésitez pas à demander aussi à vos anciens compagnons d’études ou anciens collègues ; ainsi vous verrez si c’est votre perception qui est faussée ou si vous êtes réellement sous-payé. Si le salaire est votre unique problème au travail et que tout le reste vous convient, attention à ne pas brusquer les choses : posez-vous la question de savoir pourquoi vous avez besoin de plus d’argent et comment vous l’utiliseriez. Pesez le pour et le contre : si vous aimez votre travail et vos collègues et que vous sentez que ce job vous correspond, avez-vous réellement un besoin immédiat de gagner plus? Que devrez-vous sacrifier pour cela ?
Enfin, si votre salaire est réellement trop bas parce que vous exercez un métier bien en dessous de vos compétences et de votre niveau d’études, demandez-vous pourquoi vous êtes là, ce qui a fait que vous avez accepté un jour de vous sous-estimer. Mauvaise passe, urgence, il y a beaucoup de raisons qui poussent à trouver un job alimentaire qui aide tout juste à payer les factures, mais si votre niveau d’études et votre expérience sont nettement au-dessus de votre job actuel, il est peut-être temps de partir. A moins que vous n’exerciez un métier par passion, qui vous « rémunère » autrement que pécuniairement.
Les valeurs ?
Si vous êtes communiste dans l’âme et que vous êtes DRH chez Coca Cola, c’est sûr que vous risquez d’avoir des aigreurs d’estomac. Pour autant, êtes-vous réellement prêt à sacrifier un certain confort de vie pour mettre votre travail en adéquation avec vos principes ? Peut-être pouvez-vous trouver un compromis et soulager votre conscience en faisant du bénévolat le weekend ou en sponsorisant généreusement les restos du cœur. Faites attention aussi à ne pas confondre vos valeurs et celles de votre famille : si chez vous, on est chef d’entreprise de père en fils, cela ne veut pas dire que cela corresponde à votre personnalité profonde : si vous percevez un réel gouffre entre votre sensibilité et votre type d’activité professionnelle, cela vaut sans doute la peine de faire l’effort d’en changer.
Quand l’envie de changer de travail cache autre chose :
Enfin, si vous listez et relistez des possibilités, ne trouvez rien de convaincant mais êtes malgré tout profondément insatisfait, peut-être cela ne vient-il pas de votre travail. L’envie de « tout quitter » se reporte sur le job, qui est l’activité qui prend le plus de temps dans la routine quotidienne, mais il serait bon d’explorer aussi sa vie privée et de voir si quelque chose cloche. Ne serait-ce pas l’envie de changer de partenaire qui vous taraude ? Ou l’envie inassouvie de faire un enfant ? Souhaitez-vous déménager ? Y a-t-il un autre changement profond dans votre vie dont vous auriez un besoin plus urgent ?
En résumé, pour un changement de travail réussi, il faut identifier les vraies bonnes raisons de le faire : besoin profond d’un travail qui corresponde mieux à nos aspirations, simple passage à vide ou insatisfaction personnelle pour d’autres raisons, la distinction n’est pas toujours facile. Le danger est de ruminer sans cesse les aspects déplaisants de notre travail sans plus en apprécier les aspects qui nous conviennent. C’est en listant les points positifs comme les points négatifs de notre situation actuelle, ainsi que les risques que nous serions éventuellement prêts à prendre pour éliminer ces points négatifs, que l’on peut vraiment faire le point et avancer dans la bonne direction.